Envoyer au XVIè siècle un rhinocéros de l’Inde au Portugal en tant que cadeau diplomatique relève de la folie ! Et pourtant ! C’est cette histoire vraie que raconte avec un humour mordant et un sens aigu de la nature humaine – pas très brillante – l’écrivain suisse Eugène dans son livre Ganda (éd. Slatkine).
Comment avez-vous découvert l’histoire de Ganda et qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’en faire un livre ?
J’ai découvert cette histoire en février 2011 ! Le musée Rietberg à Zurich consacrait une expo aux fastes de l’empire colonial portugais aux Indes. J’étais à Zurich pour la journée ; j’avais une matinée à tuer et je suis entré dans ce très beau musée. Je m’attendais à voir des ivoires sculptés et tout à coup, au premier étage, je tombe sur une reproduction d’un dessin d’Albrecht Dürer représentant le fameux rhinocéros. Cela m’a interloqué : quel rapport entre l’Inde et Dürer ? Et j’ai commencé à lire le panneau explicatif.
Tout de suite, j’ai été émerveillé par l’histoire de ce rhino qu’on embarque sur une caravelle à Goa pour contourner l’Afrique et l’offrir au roi du Portugal !
Vous avez déjà exploré différentes formes littéraires dans vos romans. Où situez-vous Ganda ? On serait tenté de le classer parmi les contes philosophiques…
Oui, bien sûr, le conte philosophique est la grande référence de Ganda. D’ailleurs, avant de me mettre à l’écriture, j’ai relu quelques chapitres de Candide pour voir en détail comment Voltaire traitait ses personnages. Je me suis gorgé de son ironie, de son mordant avant de me lancer dans ma propre narration. Finalement, c’est devenu un roman historique. Un bref roman historique. Je tenais à cette brièveté : l’ironie ne supporte pas les longueurs. L’ironie, ça claque ou ça meurt.
Vous dressez des portraits peu flatteurs des rois et autres puissants dans votre récit. Est-ce votre vision des dirigeants ?
Les puissants sont de simples mortels, mais qui, contrairement à la plupart des gens, ne s’interdisent rien. Un des plus spectaculaires exemples est Henri VIII qui crée une religion – l’anglicanisme – pour avoir le droit d’épouser sa maîtresse. Comme le pape lui a définitivement refusé le droit de divorcer, Henri VIII déclare qu’il n’est plus catholique, mais « anglican ». Incroyable, mais historique : le roi d’Angleterre oblige des millions de sujets à changer de religion pour satisfaire sa libido.
Ce pauvre Ganda a un destin tragique. Etes-vous sensible à la cause animale ?
L’histoire de Ganda m’intéresse avant tout parce qu’elle parle de nous, aujourd’hui. Elle préfigure tout ce que nous nous autorisons à faire avec les animaux. Au XVIe siècle, expédier un pachyderme à l’autre bout de la terre est une folie tout comme, par exemple, nourrir les vaches avec des farines animales (crise de la vache folle vers 1995)… L’antispécisme, le véganisme sont des mouvements importants de notre époque. Ganda n’aborde pas ces thèmes, mais parle de la certitude de l’homme d’avoir tous les droits sur les animaux.
Quel lien entretenez-vous avec le personnage d’Ossem ? Est-ce que vous l’aimez car il est à la fois attachant par sa débrouillardise et sa capacité à analyser la nature humaine, mais il est assez peu sympathique dans son absence d’attachement vis-à-vis de Ganda ?
Ossem, le cornac qui a accompagné le rhinocéros en Europe, a vraiment existé. Mais les chroniqueurs de l’époque n’en ont pas dit un mot. On ne connaît que son prénom : Ossem. J’avais donc carte blanche pour inventer ce personnage. J’en ai fait un un petit malin, débrouillard, qui cherche à s’élever de sa condition misérable (nettoyer un pachyderme et vider des seaux d’urine, c’est pas terrible). Au début, il déteste Ganda, mais au fil du voyage, des liens se tissent entre les deux.
J’aime bien ce personnage, parce qu’il n’est pas que méchant ni complètement sympathique. Il n’hésite pas à arnaquer des pauvres par exemple. Mais qui dans la vie – à part les télétubbies – est entièrement gentil ?
Sur quel livre travaillez-vous aujourd’hui ?
J’ai toujours plusieurs projets en même temps. En ce moment, il y a un roman, un scénario de film et un recueil de nouvelles. Mais attention, il faut être souple : par exemple, je commence une nouvelle, puis je réalise que j’ai plus à dire sur le sujet que je ne le croyais. Peu à peu le texte grandit et devient un roman. Puis en relisant, je m’aperçois qu’au fond ce qui me plaît est la manière de parler du personnage principal. Du coup, je recommence en écrivant un monologue…
C’est d’ailleurs ce qui est arrivé avec Ganda ! La première version, qui date de 2014, est un roman pour enfants, puis j’en ai fait une nouvelle, publiée en 2015 dans l’excellente revue Viceversa Littérature, puis j’ai recommencé en écrivant cette fois un roman pour adulte, plein d’ironie. C’est cette version que j’ai envoyée aux éditions Slatkine.
https://www.slatkine.com/fr/homecategory/editions-slatkine